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Le consentement libre et éclairé

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Jeune personne de la marche des fiertés Amiens 2021 le bras levé

Dans la société “post #MeToo”, on entend de plus en plus parler du concept de consentement. En tant que photographe, je suis amené au contact de divers publics: client-es, modèles, personnes qui voient mes photos, autres photographes etc. Il arrive souvent que des questions éthiques se posent, du style
est-ce que je peux demander à cette modèle de porter une tenue particulière pour le shooting ?
est-ce que le couple qui vient de m’acheter une prestation en m’autorisant à utiliser leurs images sur mon site a bien compris ce que ça implique ?
est-ce que c’est légitime pour moi d’utiliser l’image de cette personne visible dans une manifestation publique ?
Pour répondre à ces questions, le consentement est souvent un outil très utile, explications.

Le mot “consentement” revêt plusieurs définitions, notamment en philosophie, et ne se résume pas à un synonyme d’”être d’accord”. Je parlerai ici plus précisément du consentement tel qu’il est pensé dans deux cadres particuliers: en matière de pratiques relationnelles et sexuelles (à la lumière de la pensée féministe), et dans le domaine médical.

En médecine, dans le cadre de la relation patient-e – praticien-ne, on attend de la personne qui s’apprête à proposer un soin ou une thérapie qu’elle fasse preuve de tact professionnel, de déontologie. Si l’acte en question présente des risques (et c’est le cas la plupart du temps), il est nécessaire que la personne soignée soit rendue consciente de ce qui pourrait lui arriver. Pour s’en assurer, on donne deux critères au consentement pour le considérer valide:
Le consentement doit être “éclairé”, au sens où la personne qui doit choisir de consentir ou non doit être pleinement informée des risques, en essayant de ne rien omettre, et en utilisant un langage approprié ; dans certains cas, si la personne est mineure, ne parle pas bien la langue ou a des obstacles cognitifs à la compréhension par exemple, il devient compliqué de vérifier que les risques sont bien compris.
Le consentement doit également être “libre”, c’est-à-dire que la personne qui consent ne doit pas être sous une influence suffisamment puissante pour perturber son jugement. Lorsque des enjeux personnels familiaux, des pressions professionnelles, ou des contraintes d’ordre moral interviennent, il faut se demander si ces éléments impactent la capacité de décision de la personne et si le consentement est vraiment libre. 

Dans le domaine des relations affectives et de la sexualité le consentement peut-être utilisé selon les mêmes termes:
il doit être “éclairé”, au sens où les deux personnes doivent bien avoir compris de quel type de pratique ou de relation il s’agit et ce qu’elles impliquent (au regard des risques physiques, IST par exemple, mais aussi au regard de l’engagement affectif) ; la particularité ici est qu’il doit être spécifiquement réfléchi pour chaque action, on peut consentir à un câlin mais pas à un baiser, ou à un baiser et des caresses mais pas à la pénétration
il doit être “libre”, un “oui” formulé sous la menace n’est pas un consentement libre mais forcé et n’a donc pas de valeur
on peut ajouter qu’il doit être “révocable à tout moment”, c’est difficile de savoir exactement quelles sont nos limites et les envies varient avec le temps et les expériences, donc le consentement doit être souple et réactif au même titre que les ressentis et les décisions
dans certains milieux on parle aussi de “consentement enthousiaste” (“fuck yes”), l’idée étant que si on a un doute il vaut mieux s’abstenir, quand on se demande si on a envie de faire telle ou telle chose il faut que la réponse dans notre tête soit un “oui” clair, qu’on peut ensuite clairement verbaliser.

En tant que photographe, comprendre cette notion utilisée dans des contextes aussi sensibles que la santé et les relations m’a donné envie de l’étendre à d’autres aspects. 
Par exemple je prends plus de temps lorsque je travaille avec des modèles pour leur détailler le contenu du contrat d’utilisation des images, en leur demander de bien réfléchir à quels supports iels acceptent pour la diffusion. La protection de la vie privée, notamment sur les réseaux sociaux, est souvent négligée et peut apporter son lot de drames (outing, harcèlement etc…).
J’essaye aussi de faire preuve de tact lors que suis en séance portrait avec un couple et que je les amène à parler de leur vie privée pour les faire interagir et comprendre comment obtenir de belles photos, en glissant systématiquement un “surtout si je commence à être trop curieux sentez-vous libres de me le dire, j’ai besoin que vous soyez ok avec ce que vous choisissez de partager avec moi”.

Toutefois il y a quelques exceptions à ce consentement idéalement verbalisé, voire contractualisé. Beaucoup de photographes de rue réfléchissent à ce qu’iels peuvent montrer ou non, et comment se comporter sur place avant ou après la prise de vue. Je ne porte pas de jugement sur cette questions mais je vous invite à explorer quelques pistes dans les sources.
De mon côté j’ai été amené récemment à faire des photos de la manifestation LGBTQI+ “marche des fiertés” à Amiens (pour sa troisième édition). L’un des collectifs organisant m’a inclu dans l’équipe de sécurité et m’a demandé d’être vigilant dans les choix des photos qui seront publiées concernant le risque de harcèlement de personnes reconnaissables et affichant une position militante. C’était un exercice très intéressant de m’efforcer de capter les messages et le sens des vêtements, accessoires, pancartes, plus que l’ambiance et les visages. La plus grosse partie des photos retenues correspond à des foules aux visages trop petits pour être clairement identifiables, à des parties du corps, des pancartes, ou des personnes déguisées. 
Mais j’ai tout de même choisi de retenir quelques photos avec des personnes visibles, parce que dans le cadre de la manifestation j’ai été en interaction avec ces personnes: soit en discutant avec elles, soit simplement parce qu’elles m’ont regardé et fait un signe au moment de la photo. C’est le cas par exemple pour celle-ci 

Jeune personne de la marche des fiertés Amiens 2021 le bras levé

Son attitude incarne à mon sens le concept de “marche des fiertés” avec son volet revendicatif, et j’ai donc choisi de publier la photo même sans avoir explicitement signé de contrat avec cette magnigique personne.
Bien entendu, comme tout photographe qui respecte la loi, je suis prêt à la retirer de mon site et de mes réseaux sur simple demande de sa part ! Mais ce que j’espère surtout, c’est que les photographes comme les personnes qui me liront pourront faire cet effort de réflexion à l’avenir. Quelque-chose me dit que le consentement est un outil très puissant pour transformer en profondeur les relations dans notre société.