En tant que photographe, je suis amené à rencontrer et échanger avec pas mal de personnes, parmi lesquelles des modèles photo, qu’iels soient professionnel-les ou amateur-es. Ces échanges, mes expériences et mes lectures m’ont conduit à soigneusement réfléchir à la manière dont je peux et dont je dois me comporter avec les personnes qui me sollicitent ou acceptent de poser devant mon appareil photo. Je partage ici quelques unes de mes réflexions.
Le statut de modèle n’existe pas
En France, il n’existe pas vraiment de statut professionnel pour la personne qui se définit comme “modèle photo”. Le code du travail est clair: « Toute personne qui sert à la réalisation d’une image, bénévolement ou non que l’image soit ensuite utilisée ou non, et quels que soient son âge ou son sexe est un mannequin ou un modèle, même si cette activité est exercée à titre occasionnel. » Loi 90-603 du 12 Juillet 1990 – Article L763-1 du Code du travail.
Le problème est que concrètement le reste du Code du travail et des articles de loi qui cadrent cette activité vont uniquement dans le sens du mannequinat, c’est-à-dire de personnes qui sont salariées d’une agence de mannequinat qui détient une licence spécifique. Cette licence n’était pas accessible facilement à n’importe quel photographe, et donc un travail du type modèle photo qui souhaite poser contre rémunération pour un-e photographe auteur-e / salarié-e / entrepreneur-e ne pourra en réalité pas prétendre à un salaire reconnu par l’URSSAF et par les institutions légales. Pire, les modèles photo ne peuvent pas prétendre au statut d’auto-entrepreneur-e, c’est prévu par la loi !
Etant donnée la difficulté d’accéder au salariat pour les agences de mannequinat, que ça soit à cause des filtres basés sur le physique ou de la simple concurrence, la réalité du modelling comme métier se résume à deux options: poser gratuitement (le plus souvent dans un cadre de collaboration), ou accepter d’être payé-e sans déclarer, ce qui n’ouvre droit ni au chômage ni aux cotisations retraite.
Même si les choses peuvent évoluer, c’est pour le moment un fait: être modèle photo, c’est accepter une précarité assez forte, et une vulnérabilité vis-à-vis des agences et des photographes qui jouissent naturellement d’une position plus stable.
A ne jamais oublier lorsqu’on contacte des modèles.
Le mot “modèle” est mal choisi
En français, le terme “modèle” a des sens distincts. Selon le wiktionnaire et le CNRTL, dans le contexte artistique on parle de “personne, homme ou femme, d’après laquelle les artistes dessinent, peignent, sculptent, etc” ou, pour les définitions les plus négativement chargées, “façonner un objet à partir d’une substance molle” (J. de Montlyard, Mythologie, IV, 6 ds Gdf. Compl.).
Dans les deux cas, on perçoit le ou la modèle comme étant un objet inerte et que l’on cherche à reproduire par un média technique dans une démarche artistique. Dans certains cas cette définition est tout à fait cohérente, par exemple pour une agence de communication ou un-e photographe qui recherche une personne avec un physique particulier. De la même manière qu’un-e acteur-ice endosse le rôle d’un personnage, le ou la modèle n’est qu’un support de la démarche artistique.
Toutefois il s’agit en réalité d’un peu plus que ça, et il serait réducteur de considérer les modèles comme de simples exemplaires d’êtres humains aux spécificités qu’on recherche. Parce que dans une photo comme dans un film, l’oeuvre finale ne va pas porter que le message de l’artiste. Par son attitude, sa gestuelle, son état d’esprit, par de petites imperfections, des éléments plus ou moins perceptibles au premier abord, le ou la modèle insuffle un peu de sa personnalité dans le résultat final, et contribue toujours – au moins un peu – de manière active à la construction de l’image.
C’est pour cette raison que dans pas mal de contextes, on peut utiliser d’autres termes. Par exemple, s’il est question d’une collaboration entre photographe, make-up-artist et modèle photo, on peut appeler équitablement chaque partie “un-e collaborateur-ice” du projet, ou pour prendre un mot moins connoté entreprise, “un-e partenaire”.
Le ou la modèle a toujours un rôle a jouer, ça me semble faire preuve d’humanité que de ne pas l’oublier, et d’utiliser un terme qui valorise l’apport de la personne dans la démarche.
La distribution des rôles et du pouvoir
Dans un projet artistique et/ou plastique de photographie, chaque personne a son rôle à jouer, ses responsabilités à assurer. Si c’est un-e photographe qui réunit une équipe, iel aura naturellement plus de responsabilités et sera à l’origine de plus de décisions qui vont collectivement mener au résultat final. Si c’est un-e modèle qui sollicite le ou la photographe, c’est lui ou elle qui sera commanditaire d’un service, et qui aura le dernier mot sur la plupart des choix à faire. Si c’est une agence qui paye deux prestataires photographe et modèle, alors les deux sont à égalité hiérarchiquement sous la direction de la personne qui représente l’agence.
Cette distribution inégale des responsabilités, des rôles et du pouvoir a des implications car la charge de travail et le stress occasionné sont très différents selon la posture dans laquelle on se trouve. Certain-es modèles ont par exemple des difficultés à gérer leur regard sur leur propre image et ont besoin d’être rassuré-es au moment de dévoiler les photos. Lorsque le shooting vise à alimenter un book, le stress anticipé de la sélection ou non par une agence pour décrocher un emploi peut être très pesant. Bien sûr un-e photographe aussi peut avoir de la pression, s’il s’agit d’une commande à honorer avec un certain niveau de qualité ou s’iel n’a pas beaucoup de confiance en soi.
En résumé, être photographe implique à mon sens d’échanger avec le ou la modèle avec qui on travaille pour bien identifier les postures, les rôles, les attentes et les craintes de chaque personne. Il ne s’agit pas de transformer le métier en thérapie (il faut des compétences particulièrement pointues pour ça), mais de répandre de bonnes pratiques pour garantir l’intégrité et le respect des modèles.
Être modèle n’est pas mince affaire, et en tant que photographe j’ai envie d’épouser une déontologie emprunte d’humanisme et de clairvoyance vis-à-vis des individus qui ne sont pas seulement des corps, ni même des prestataires professionnels dotés de compétences. Ce sont des humains avec leurs limites, leurs rêves et les tares, qui doivent les gérer au quotidien et qui acceptent de partager du temps avec moi. Lorsque nos envies et nos craintes se croisent, je suis sûr qu’on y gagne à communiquer librement et à prendre l’habitude de rechercher le bon compromis entre prendre son temps et rester efficaces, entre lever les doutes en sympathisant et rester pro pour ne pas créer de tensions.
Par chance, je suis très bavard 🙂
Et vous, vous en pensez quoi ?